Ouganda remise sur le marché de 2,9 tonnes d'ivoire saisi
Ouganda, 27 février 2014 — un juge de la Haute Cour en Ouganda a ordonné qu’un stock de 2,9 tonnes d'ivoire saisi et destiné à l’exploitation soit rendue à un ressortissant congolais, bien que la cargaison soit entrée frauduleusement dans le pays et déclarée comme du café, et en dépit du fait que toute exportation ultérieure serait clairement en violation flagrante des réglementations internationales régissant la CITES (Convention sur le commerce internationale des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).
Dans un communiqué de presse, Maria Mutagamba, Ministre du Tourisme, de la Faune et des Antiquités, s’est déclarée choquée face à cette décision et les conséquences probables qu'il y aura pour l'Ouganda en tant que partie contractante à la convention CITES [et] ... surtout les dégâts que cela peut provoquer sur le développement du tourisme et de la conservation de la faune en Ouganda.
La cargaison de 2,9 tonnes, comprenant 832 pièces d’ivoire, avait été saisie et mise en fourrière en octobre 2013 par l'Autorité fiscale ougandaise (URA), et les mandats d‘arrêt avaient été émis pour l'arrestation de deux suspects dans le cadre de cette affaire, un ressortissant kényan et un ressortissant congolais. Les deux hommes sont toujours en fuite.
Pendant ce temps, le principal suspect a demandé une ordonnance pour obliger l'URA à libérer l'ivoire, qui selon lui, était légalement en transit avec un permis légal de la République Démocratique du Congo et un autre permis obtenu par le biais de son agent pour déplacer l’ivoire de l’Ouganda à Mombasa au Kenya. Ses avocats ont fait valoir que la saisie était contraire à la Loi sur les douanes de l'Afrique de l’Est, et que leur client avait subi des pertes lors de la livraison de la cargaison à Mombasa au Kenya pour l'exportation outre-mer.
Le suspect n’a jamais comparu devant la Cour, mais le juge Wilson Musalu Musene a statué en sa faveur et, bien qu’aucun des pays concernés n’autorise le commerce international de l’ivoire, il a ordonné la libération de la cargaison pour expédition. Le juge n'a pas contesté sa demande erronée selon laquelle la CITES n'interdit pas le commerce de l’ivoire issu de mort naturelle ou d’abattage d'éléphants. La décision a également ignoré les accords entre les pays membres de la CITES qui prescrit que les envois en transit doivent être accompagnés de documents CITES valides.
"La décision du Tribunal ougandais ne peut être qu'un feu vert à des contrebandiers d'Ivoire et pourrait porter sérieusement atteinte à la capacité du système juridique de l'Ouganda d'imposer la Loi et l'ordre, et de dissuader les criminels », a déclaré Steven Broad, Directeur Exécutif de TRAFFIC.
Il y a moins de deux semaines, le ministre d'état aux affaires étrangères de l’Ouganda, Oryem Henry Okello, a assisté à la Conférence de haut niveau sur le commerce illégal d'espèces sauvages à Londres qui a adopté la déclaration de Londres. La déclaration engage les pays à « renforcer le cadre juridique, à faciliter l'application de la loi pour lutter contre le commerce illégal d'espèces sauvages et à faciliter les poursuites et l'imposition de sanctions qui sont un moyen de dissuasion efficace ». Elle appelle également les pays à « renforcer la capacité de réaliser des poursuites et des sanctions dissuasives. »
« Cette affaire sape clairement l'engagement pris au début du mois à Londres, » a déclaré Broad.
Depuis 2009, l'Ouganda a été impliqué dans six saisies d'Ivoire à grande échelle, d'une quantité totale de près de 12 tonnes d'Ivoire, selon les informations du programme ETIS, le système d’information sur le commerce des éléphants géré par TRAFFIC au nom des Parties à la CITES.
En mars 2013, l'Ouganda a été l'un des huit pays désignés par la CITES comme étant les plus fortement impliqués dans le commerce de l'ivoire illégal et qui devait soumettre un Plan d’Action Ivoire exposant les mesures concrètes pour remédier à la situation. Le défaut de se conformer aux dispositions de la CITES expose l’Ouganda à des sanctions de la CITES.
Le Directeur adjoint de la conservation de l'Autorité ougandaise de la faune et la flore sauvages, a promis de faire tout son possible pour que l'ivoire ne passe pas les frontières de l'Ouganda.
Selon la déclaration du Ministre Mutagamba, « les avocats de l'Autorité ougandaise de la faune sauvage et l’Autorité fiscale ougandaise ont déjà déposé un avis d'appel pour contester la demande de jugement en vue d’une ordonnance de sursis d'exécution de l'arrêt, et le dépôt de l'appel sera aussi immédiatement fait ».
L'affaire n'est pas isolée, et met en évidence les carences judiciaires en Afrique qui contribuent à perpétuer la criminalité faunique. En décembre 2013, un magistrat Kenyan a autorisé la remise en liberté sous caution (à peine 2000 USD) du suspect principal dans la troisième plus importante saisie d'Ivoire du monde cette année-là (évaluée à près de 2 millions USD). En octobre 2013, un autre magistrat Kenyan a ordonné à une vietnamienne en possession de cinq cornes de rhinocéros pesant 20 kg, de payer une amende de seulement 235 USD alors que la contrebande avait une valeur beaucoup plus grande sur le marché noir. En février 2014, un magistrat au Zimbabwe a infligé une amende de 500 USD à un zimbabwéen, reconnu coupable de possession illégale et de fabrication de 47 kg d’ivoire brut et de produits d’ivoire travaillés, bien que la loi prévoit des peines d'emprisonnement obligatoires dans les saisies d'ivoire. Le mois dernier, le Kenya a introduit de nouvelles peines sévères pour le trafic de la faune.
«Le changement dans la législation du Kenya a été une initiative saluée et que les autres pays de la région pourraient suivre, mais des sanctions sévères ne peuvent être efficaces que si elles sont entièrement garanties par le système judiciaire d'un pays », a déclaré Broad.